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Hugo B. J. Soder

BODY PARKING: utilisation de la stimulation environnementale restreinte pour déclencher des expériences de transe

L’homme qui revient après avoir franchi la Porte dans le Mur ne sera jamais tout à fait le même que l’homme qui y était entré.

Aldous Huxley, 1954 Les portes de la perception

Une métaphore

La comparaison du corps avec un véhicule suggère qu’après l’avoir parqué dans un espace adéquat, on puisse le quitter en toute sécurité pour pouvoir revenir l’utiliser en temps utile. Cette métaphore implique également le phénomène de dissociation du corps et de la conscience typiquement ressentie lors de l’expérience de la transe.

Le concept d’utilisation d’un véhicule est tellement intégré dans notre culture et dans nos habitudes que le simple fait de s’y référer provoque des réactions psychologiques de familiarité conscientes et inconscientes qui facilitent la compréhension du phénomène de la transe et permettent d’illustrer très simplement les conditions idéales nécessaires à son déclenchement, à son bon déroulement et à la réintégration de l’état de conscience ordinaire, en fin d’expérience.

Introduction

De tout temps, l’Homme a cherché à s’extraire des contingences matérielles pour accéder à une compréhension élargie de son environnement. Transcender les limites de son corps et de ses sens pour permettre à sa conscience de voyager librement dans l’Univers est une aspiration fondamentale de la nature humaine qui sous-tend tous les systèmes de croyances religieuses.

Selon l’orientaliste Grazia Marchiano Zolla « … dans la tradition hindoue, le corps est considéré comme essentiel à l’expérience métaphysique dans la mesure où il abrite quelque chose d’irréductible à la corporéité même, qui toutefois sans la corporéité ne pourrait pas se manifester. Le mot sanscrit « sarira », équivalent du latin « corpus » signifie littéralement « ce qui incorpore », on le décrit comme une coquille, une sorte de gaine de chair qui enveloppe l’entité « âtman » d’où provient le latin «animus», l’âme… l’extase (la transe), dans la variété de ses manifestations mystiques, poétiques ou chamaniques naît du besoin humain irrésistible de briser la barrière du corps et de réaliser un détachement, une sortie de soi-même, une suspension du temps et un oubli intégral des conditions d’existence… Il s’agit d’une expérience qui met en jeu la personne dans la totalité de son être psychophysique. » (Marchiano Zolla, 1986).

Les techniques d’induction de transe qui agissent directement sur le corps séduisent par leurs aspects pratiques, aisément reproductibles et relativement faciles à décrire et à faire partager. Ceci explique le succès immense rencontré par l’usage de substances psychédéliques naturelles ou synthétiques qui ont permis à tant d’individus de franchir les «portes de la perception» chères à l’écrivain britannique Aldous Huxley.

Dans une moindre mesure, on retrouve cet intérêt pour les techniques d’induction de transes traditionnellement associées au chamanisme, non seulement pour les rituels de consommation de plantes psychotropes, mais aussi pour des techniques de stimulation psychosensorielle et corporelle, comme les danses ou les pratiques d’instruments à percussion.

Malgré leur efficacité indéniable, les substances psychédéliques présentent, en plus des risques évidents pour la santé, un inconvénient majeur : il est impossible de contrôler leurs effets en temps réel, durant l’expérience. Quelles que soient les doses absorbées, il est impossible d’en stopper les effets avant la fin de leur temps d’action.

Cet inconvénient n’apparaît pas avec l’usage des techniques de stimulation psychosensorielle qui peuvent être parfaitement modulées en cours d’expérience pour adapter celle-ci à la sensibilité du pratiquant, non seulement directement par ce dernier, mais aussi par une action d’origine extérieure.

Cette possibilité de contrôle et d’adaptation permet alors une grande précision dans l’usage de stimulations psychosensorielles de faibles puissances dont l’efficacité va dépendre de leurs qualités propres, mais surtout de la qualité de l’environnement où elles sont appliquées.

La qualité environnementale est obtenue par la stimulation environnementale restreinte qui crée un espace protégé et contrôlé, dont l’ambiance intérieure peut être modifiée par des stimulations psychosensorielles de manière mesurable et reproductible.

Expérience de pensée

Revenons à la métaphore du «Body Parking» pour décrire les qualités indispensables au «garage» qui favoriseront le «parcage» du «véhicule-corps» pour que le «conducteur- conscience» puisse le quitter et le réintégrer en toute sécurité. « En Europe, quand on parle de la mort on dit qu’un homme « rend l’âme » ; en Inde, un homme « abandonne son corps ». La différence est importante car dans un cas l’homme est un corps et possède une âme, et dans l’autre l’homme est une âme et possède un corps ». (Labat, 1997).

Effectuons une expérience de pensée pour visualiser ce «garage» sous la forme d’un espace de protection sensorielle spécialement conçu pour y accueillir le «véhicule-corps» dans les meilleures conditions de sécurité et de confort. Le but de cette expérience est de déterminer les conditions de stimulation environnementales restreintes nécessaires pour suggérer au «conducteur» que l’espace du «garage» peut se substituer à celui du «véhicule», pour le contenir comme une poupée russe. Le «véhicule-corps» cessera alors d’être perçu comme indispensable et le «conducteur-conscience» admettra la possibilité de le quitter. Cette prise de conscience est un facteur facilitateur indispensable au déclenchement de l’expérience de transe.

Ce processus de suggestion combine des déclencheurs passifs physiques qui agissent directement via les cinq sens et des déclencheurs psychologiques conscients et inconscients qui dépendent également des sensations, mais aussi d’activités mentales comme l’imagination et la prise de conscience. Les déclencheurs passifs physiques sont directement liés à l’espace du «garage», qui doit assurer une protection efficace contre les perturbations extérieures. Il doit être aménagé de façon neutre pour éviter de créer des perturbations intérieures et ne pas amplifier celles qui sont générées involontairement par le corps humain. Une isolation sensorielle absolue est impossible à réaliser, car même en l’absence de toute stimulation perturbatrice externe, le corps émet en permanence un bruit de fond sensoriel qui en temps normal est couvert par le flot des sensations. Paradoxalement, il devient son propre perturbateur.

Stimulation environnementale restreinte

Le «garage» sera plongé dans l’obscurité ou tout au moins dans la pénombre, à l’abri de toute source de lumière qui pourrait être perçue même les yeux fermés, à travers les paupières. Les parois du «garage» doivent opposer un blocage maximum aux bruits extérieurs. Les sons de hautes fréquences seront réfléchis, les sons de basses fréquences et les vibrations seront absorbés. Les revêtements des parois intérieures absorberont également les sons qui pourraient être émis et réverbérés par le «véhicule-corps». La qualité de l’air sera entretenue par un système de ventilation silencieux et ne produisant aucun courant d’air. La température et l’hygrométrie seront maintenues à un niveau neutre. Aucune odeur ne doit être perceptible. Toutes les surfaces doivent être libres d’électricité statique. Une isolation électromagnétique du type «cage de Faraday» avec mise à terre serait un avantage supplémentaire.

Le «véhicule-corps» repose sur un support qui le maintient dans une position réduisant au maximum les perceptions kinesthésiques et qui répartit son soutien sur une grande surface pour diminuer les stimulations tactiles. Le revêtement du support doit permettre la circulation de l’air pour éviter les phénomènes de transpiration localisés sur la surface de contact, ce qui engendrerait des sensations de différence de chaleur et d’humidité. Idéalement le corps ne devrait porter aucun vêtement, mais par souci de confort psychologique, il est préférable de porter des sous-vêtements amples en fibres naturelles. Tous ces éléments doivent se compléter pour entretenir une homéostasie idéale du «véhicule-corps» parqué dans le « garage ».

Les déclencheurs psychologiques conscients dépendent principalement du degré de sécurité, de confort et de bien-être ressentis par le «conducteur-conscience» à bord de son «véhicule-corps». Sa confiance dans l’efficacité de la protection sensorielle accordée par le «garage» doit être totale pour pouvoir déclencher la prise de conscience du déplacement des limites du «véhicule-corps» à celles du «garage».

Ce processus dépend aussi des déclencheurs inconscients que sont les réactions instinctives aux dimensions, aux proportions, à l’architecture et à l’esthétique de l’environnement, que l’anthropologue Edward T. Hall a étudié sous le nom de « proxémie ». (Hall, 1966). L’espace d’intimité virtuel qui s’étend autour de chaque être humain est semblable à une dimension cachée. Sa taille varie en fonction de la qualité de l’environnement.

Cet espace qui délimite le territoire vital indispensable à la sécurité est constamment surveillé par le subconscient, de jour comme de nuit. Un système rétroactif d’informations permet la réaction ou l’adaptation aux perturbations et aux agressions. Cette activité inconsciente permanente est une composante de l’image de soi et contribue à la stabilisation du sentiment d’identité.

Le fait de prendre simplement place dans un espace contrôlé et protégé comme le «garage» provoque immédiatement une baisse du niveau de vigilance et un réajustement de l’activité de surveillance subconsciente. Il en résulte un important accroissement du sentiment de sécurité, ce qui autorise la modification de la perception des limites du corps. Cette diminution de l’attention accordée au corps se traduit par la perte de la sensation corporelle. Le « véhicule-corps » cesse d’être considéré comme cadre de référence par le « conducteur- conscience », qui se perçoit désormais comme une bulle de conscience flottant sans support physique.

Stimulation psychosensorielle contrôlée

A ce stade de l’expérience, il est nécessaire de fournir au « conducteur-conscience » un cadre de référence de substitution. Les cinq sens étant inhibés, l’espace mental est maintenant libre de toute perturbation extérieure, il est devenu disponible pour l’acquisition d’informations nouvelles. Des nouvelles stimulations sensorielles définies et contrôlées vont remplacer les stimulations anarchiques supprimées ou filtrées par le « garage ».

L’espace mental visuel doit rester dégagé comme un écran vide. Ce sera un vecteur ouvert, par lequel se manifesteront les visions issues de la transe. L’impression perceptive associée à la vue permet une appréhension de l’information globale et immédiate, semblable au « flash » ressenti par les voyants.

Le physicien Nikola Tesla décrit avec précision l’aspect de son écran mental avant l’apparition de visions : « Lorsque je ferme les yeux, j’observe d’abord invariablement un fond d’un bleu très sombre et uniforme, qui n’est pas sans rappeler le ciel par une nuit claire et sans étoiles. Au bout de quelque secondes, cette toile de fond s’illumine d’innombrables paillettes vertes et scintillantes, arrangées en plusieurs couches et qui s’avancent vers moi… l’ensemble est abondement parsemé d’une quantité de lumières qui scintillent. Cette image se déplace lentement dans mon champ de vision … laissant derrière elle un fond de gris plutôt désagréable et inerte, qui cède rapidement la place à une tumultueuse mer de nuages qui tentent apparemment d’adopter des formes vivantes. » (Tesla, 1919).

Ce canal d’information ne doit pas être encombré par des images issues de souvenirs évoqués, de préoccupations visualisées ou d’autres constructions de l’esprit analytique. Ces éléments mentaux perturbateurs ne laissent aucune place à l’apparition d’impressions extérieures. Il faut aussi éviter d’accorder une attention excessive à l’espace mental visuel en attendent impatiemment un résultat. C’est pourquoi l’espace mental auditif fera l’objet d’une stimulation acoustique contrôlée, rythmique et de faible puissance, qui entraînera une sollicitation continue et répétitive de l’attention. Cette stimulation acoustique peut être aussi simples qu’un battement de tambour ou très élaborée comme une symphonie classique. Elle doit pouvoir solliciter l’attention, tout en restant discrète et non invasive.

Colin Wilson, philosophe anglais, évoque ses sensations à l’écoute d’une telle stimulation musicale: « Bruckner, the composer, was a descendant of the great German mystics and the aim of his symphonies had been to make the supernatural real… his music was slow, deliberate … it has the nature of a story… Bruckner wanted to suspend the mind’s normal expectation of development, to say something that could only be expressed if the mind fell into a slower rythm.. I put them on when the house was quiet, and I calm my mind, as if I were lying on the seashore, listening to the sound of the sea… Bruckner’s symphony was always an incantation to induce the same state of mind, the sense of detachment from our humanity, of entering into the eternal life of mountains and atoms. » (Wilson, 1969).

Cette stimulation régulière et monotone sera reléguée par la conscience en arrière plan des perceptions. Elle restera cependant assez présente pour agir comme facteur de rupture de l’activité perturbatrice de l’esprit analytique. « La musique est véritablement un instrument extraordinaire de dérèglement des sens parce qu’elle s’adresse directement aux nerfs, aux tendons, au psychisme physique de celui qui sait écouter avec tous ses sens » (Labat, 1997).

L’attention portée à l’espace mental visuel sera distraite par la stimulation acoustique pour être amenée à osciller entre les impressions visuelles et auditives, jusqu’à ce que les impressions visuelles soient suffisamment structurées par la transe pour s’imposer d’elles- mêmes en tant que vision extérieure. A partir de ce moment l’attention restera focalisée sans effort sur le développement de cette vision.

Neuroscientist John Lilly, inventor of the isolation tank, experienced such a kind of vision: « In this unique environment, freed of the usual sources of stimulation, he discovered that his mind and his central nervous system functioned in ways to which he had not yet accustomed himself… He realized that there were apparent presences which were either created in his imagination or programmed into his brain by unknown sources when he was isolated in the tank. He experienced the presence of persons who he knew were at a distance from the facility. He experienced strange and alien presences with whom he had had no known previous experience. » (Lilly, 1978).

Conclusion : une transformation définitive

Le«conducteur-conscience» a perdu la notion de son environnement physique, le « véhicule-corps » et le « garage » ont disparu. Le « conducteur » ne conduit plus rien, il est totalement immergé dans une nouvelle dimension qui conditionne désormais sa perception du temps et de l’espace. Il a ouvert la porte à un flux de nouvelles informations qu’il explore au gré du déroulement de son expérience de transe. Après avoir franchi la Porte dans le Mur, l’Homme est définitivement transformé.

Références

Hall, 1966 – Edward T. Hall «The Hidden Dimension», Doubleday & Co, New York. Huxley, 1954 – Aldous Huxley «The Doors of Perception», Harper & Row, New York.

Labat, 1997 – Stéphane Labat «La Poésie de l’Extase et le Pouvoir Chamanique du Langage», Maisonneuve et Larose, Paris.

Lilly, 1978 – John C. Lilly «The Scientist», Lippincott Williams & Wilkins, Philadelphia. Marchiano Zolla, 1986 – Grazia Marchiano Zolla «Le Corps en tant que Véhicule de

l’Extase, Notes Critiques» in «Transe, Chamanisme, Possession», Editions Serre, Nice. Soder, 2012 – Hugo B. J. Soder «www.medirelax.com», Medirelax Sarl, Montreux. Tesla, 1919 – Nikola Tesla «My Inventions» in «Electrical Experimenter», New York. Wilson, 1969 – Colin Wilson «The Philosopher’s Stone», Arthur Barker Ltd, London.

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